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Le difficile chemin de Free sur le Cuscionu - Corse-Matin

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Face à la contestation suscitée par le projet d'implantation d'antennes de téléphonie mobile sur le plateau du Cuscionu, le conseil exécutif de Corse veut trouver une voie conciliant enjeu sécuritaire et préservation de l'environnement. L'opérateur Free mobile a 12 mois pour trouver une solution

Quelle forme et quelle ampleur prendra in fine le projet de couverture de téléphonie mobile prévue sur le plateau du Cuscionu ? Aboutira-t-il seulement un jour ? Fin juillet, la proposition d'implanter sur ce site classé Natura 2000* deux, voire trois antennes, de 18 mètres de haut, a suscité un tel tollé du côté de l'association de l'environnement Global Earth Keeper et du Cumitatu di u Rughjonu di l'Alta Rocca (lire ci-dessous) que Gilles Simeoni est intervenu pour apaiser les tensions.

Reprenant les arguments avancés par les contestataires ainsi que par plusieurs maires des communes concernées, son communiqué publié le 31 juillet stipule la nécessité de trouver « un indispensable consensus » pour concilier l'enjeu sécuritaire et sanitaire, la biodiversité et la protection de l'environnement. Distinguant bien la zone de Bavella de celle du Cuscionu, le président de l'Exécutif émet plusieurs réserves sur la couverture du plateau qu'il avait pourtant validée.
L'implantation de ces antennes s'inscrit en effet dans le cadre d'un grand projet national lancé en 2018, dont le nom traduit à lui seul toute l'ambition : « Le New Deal Mobile. » Objectif du gouvernement : réduire les zones blanches qui coupent encore certains territoires du reste de la civilisation. Depuis 2018, une quarantaine de sites peu ou très mal couverts ont été sélectionnés par l'équipe projet Corse, co-présidée par le préfet et le président de l'Exécutif de Corse.

Le massif de Bavella et le plateau voisin du Cuscionu comptent parmi ceux-là, en raison du risque incendie et de leur fréquentation importante l'été. En juillet 2019, un arrêté ministériel valide ce choix ; les opérateurs de téléphonie mobile ont deux ans pour y étendre une couverture voix-SMS et 4G (pour 4e génération). Free mobile est désigné pour établir ce réseau qui, une fois installé, devrait profiter par effet de mutualisation aux quatre opérateurs présents sur l'île.

L'avenir du plateau un sujet sensible

Si elles sont communément associées, vu leur proximité, les deux zones ne sont cependant pas confrontées aux mêmes écueils. À Bavella, depuis des années, professionnels de sports de plein air, pompiers et gendarmes appellent de leurs vœux la couverture de cette zone blanche. Le massif accueille un très grand nombre de touristes (environ 800 000 personnes par an). Outre les nombreux sentiers de randonnées et les canyons, l'étroite et sinueuse route qui mène des aiguilles à Solenzara est elle aussi très fréquentée. Pour l'heure, une seule antenne est prévue sur ce site.

Le projet sur le Cuscionu est plus compliqué. Le dispositif envisagé par Free, présenté le 2 juillet à l'occasion d'une réunion du comité départemental New Deal Mobile pour ces deux sites, est plus important que celui de Bavella. La réflexion sur l'avenir du plateau est un sujet sensible.

Depuis des années, les discussions sont âpres de part et d'autre du plateau entre les élus, les services de l'État, le Parc régional et désormais le comité de massif dont la dernière réunion s'est tenue il y a trois jours à Aullène.

Le but : réfléchir à un développement harmonieux du plateau, en respectant sa faune, sa flore, et établir une charte éthique. Le Cuscionu a toujours servi d'estive aux bergers du Haut Taravo, de l'Alta Rocca et du Sartenais. Des troupeaux s'y installent encore l'été.

Les rivières qui alimentent les vallées des pieve alentour prennent leur source sur cette terre sauvage, de granit et de pozzi, steppe aride par endroits, forêts à d'autres.

Le site abrite quantité d'espèces endémiques. Les sentiers du GR20 qui le traversent et les variantes qui mènent à l'Alcudina, point culminant du sud, sont empruntés à la belle saison (30 000 personnes en 2018).

Les considérations divergent entre ceux ouverts à une exploitation touristique plus poussée du Cuscionu et ceux pour qui le plateau doit avant tout rester une étendue naturelle surveillée, une terre à vocation agropastorale dont la fréquentation touristique doit, par conséquent, être limitée et encadrée. Déjà, des bergeries réaménagées proposent le gîte et un couvert très copieux aux randonneurs, au grand dam des protecteurs de l'environnement qui dénoncent la "paillotisation" du Cuscionu et les velléités d'ouvertures de nouvelles pistes.

Plus qu'une seule antenne ?

Compte tenu de ce contexte, les propositions faites par Free le 2 juillet ont donc naturellement suscité une levée de boucliers de la part des associations environnementales.

Interrogé par nos soins sur son projet, l'opérateur souligne qu'il ne s'agit encore que de propositions et, surtout, il rappelle le caractère pour lui contraignant de cette opération : « Il s'agit d'un dispositif émanant des pouvoirs publics. » Une façon de répondre indirectement aux critiques qui, comme celles de Core in Fronte, voient dans l'implantation de Free sur le Cuscionu le début de la mise en œuvre d'une « stratégie économique en Corse ».

Du côté des pouvoirs publics, les services de l'État comme ceux de la Collectivité de Corse (CdC) assurent les uns comme les autres que ce projet n'est, pour l'heure, « qu'une ébauche ».

De plus, l'opérateur aurait été invité, dès début juillet, à privilégier sur le Cuscionu un seul site avec une seule antenne. « Nous avons demandé à Free de revoir les études radio pour proposer la solution la plus optimisée possible avec l'implantation d'un seul pylône », précise Vincent Arsigny, adjoint au secrétaire général pour les affaires régionales de Corse (Sgac). Cependant, selon une source bien informée de ce dossier, une seule antenne ne suffirait pas à assurer une couverture satisfaisante sur le plateau. De quoi, par conséquent, s'interroger sur sa pertinence. « On voit bien qu'il y a beaucoup d'émotion, décrypte encore Vincent Arsigny. L'équipe corse a la possibilité, en fonction des préconisations des acteurs de terrain, d'ajuster l'injonction ministérielle. Nous ne sommes pas complètement coincés et nous discutons actuellement avec la Collectivité de Corse pour revoir, comme l'a souhaité le président du conseil exécutif, la méthode de travail ainsi que le calendrier. Nous allons élargir la réflexion collective afin que toutes les concertations soient entendues. » Sur une zone aussi complexe que le Cuscionu, la mission risque de s'avérer bien ardue.

Quel projet ?

Le compte rendu rédigé par les services de la sous-préfecture de Sartène de la réunion du 2 juillet en mairie de Zicavo, du comité départemental de sites pour les zones de Bavella et du Cuscionu, rapporte les propositions faites par Free mobile.

Trois pylônes d'environ 18,50 mètres sont envisagés par l'opérateur. Pour les implanter, cinq sites de part et d'autre du plateau sont considérés (Basseta, Matalza, Vallare, Pian d'Ornucciu, Bucchinera). Outre les trois antennes imposantes, un système d'électrification est proposé pour faire fonctionner l'ensemble.

Mais devant le refus d'électrifier la zone par les maires de Zicavo et Serra-di-Scopamène, Free envisage une alternative avec des panneaux solaires (qui s'étendraient sur environ 100 m2) relayés par un groupe électrogène ou une pile à hydrogène.

La réalisation et la restauration de pistes pour atteindre les antennes, sujets hautement sensibles dans les estives, sont également évoquées et suscitent là encore inquiétudes et divisions.

Toutes les options évoquées lors de la réunion du 2 juillet, dont " le besoin ou non de passer de trois à deux pylônes ", devaient être étudiées le 30 juillet à l'occasion d'une visite in situ du comité départemental. Devant la colère des associations, cette réunion a été annulée. On ne sait toujours pas pour l'heure si celle prévue en septembre, en mairie de Serra-di-Scopamène, est maintenue. " Pour l'instant, je n'ai pas de nouvelles ", précise le maire, Jean-Paul Rocca Serra.

De Zicavo à Quenza, la position des maires

Antoine Paganelli, le maire nouvellement élu de Zicavo, est favorable à ce que la réflexion s'ouvre aux associations et autres groupes extérieurs au comité départemental de pilotage.

" Il faut tenir compte de certains impératifs, d'un côté la sécurité, la sûreté des biens de la forêt, d'autre part la préservation de l'environnement. Le Cuscionu, c'est notre Eldorado, il n'est pas question de transformer notre or en plomb. "

S'il apparaît favorable à l'ouverture de nouvelles pistes, le maire précise : " On nous a surtout dit que nous pouvions utiliser celle déjà existante de l'Observatoire… "

Antoine Paganelli est en revanche totalement opposé à l'électrification des sites : " Cela générerait des dégâts environnementaux et nuirait au côté paisible de la vie montagnarde, explique-t-il. Free nous a assuré que ses équipes techniques étaient en train d'inventer de nouveaux dispositifs beaucoup plus performants. Nous attendons donc d'entendre leurs propositions. "

De l'autre côté du plateau, Roselyne Balesi, le maire réélu de Quenza, échaudée par les critiques sur les antennes, avance pour sa part la nécessaire sécurisation du plateau : " J'ai accueilli il y a deux ans la famille du randonneur perdu et retrouvé mort sur le Cuscionu*… Il est évident que personne ne veut défigurer le plateau, mais il faut aussi prendre en compte ce problème-là. "

En février 2019, à l'occasion des grands incendies de Quenza et Solaro, l'élue avait rappelé au ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, la nécessité d'étendre la couverture 4G.

Pierre Castellani, le maire d'Aullène, est lui aussi favorable à la couverture. " Nous sommes au XXIe siècle, on ne va pas se priver d'une couverture. En intégrant bien les pylônes, avec des panneaux solaires, on peut imaginer un dispositif qui ne va pas défigurer le plateau. De plus en plus de randonneurs se baladent sur le Cuscionu, il faut pouvoir les secourir. "

Très actif au sein de l'intercommunalité de l'Alta Rocca pour la préservation du plateau, Jean-Paul Rocca Serra, à Serra-di-Scopamène, se déclare pour sa part clairement contre le projet. Il réfute l'argument sécuritaire.

" J'ai, dès la réunion du 2 juillet, fait savoir mon opposition, et pas seulement contre l'électrification. Tout d'abord l'estimation de sa fréquentation touristique (30 000 personnes en 2018) est selon moi surévaluée. Ensuite, nous avons mis en place depuis quelques années des écogardes qui font de l'information sur le plateau. C'est ce type de dispositif humain qui est capable d'assurer la sécurité sur les lieux qu'il faut développer, plutôt qu'une couverture de téléphonie mobile, qui existe par ailleurs déjà en plusieurs points. "

Jean-Paul Rocca Serra rappelle également les efforts réalisés depuis une quinzaine d'années pour faire remonter sur les estives les troupeaux des bergers. " Les bergeries ont été restaurées, six troupeaux, au moins, transhument, auxquels il faut ajouter les élevages de porcs et autres animaux. "

Enfin, pour cet élu, la fracture numérique pose avant tout problème dans les villages et sur certaines portions des routes qui sillonnent l'Alta Rocca, plutôt que sur une étendue naturelle dont la préservation constitue un combat de plusieurs années.

" La sécurité avant tout "

Pour le major Patrice Bonissone, du peloton de gendarmerie de haute montagne de Corse-du-Sud, pour qui " la sauvegarde de la vie humaine passe avant tout ", " la priorité, c'est évidemment Bavella, mais il ne faut pas oublier que le GR20 passe sur le Cuscionu. Ce chemin est très fréquenté, donc, au-delà de la question technique, la problématique aujourd'hui, c'est de savoir si un randonneur lambda peut ou non déclencher l'alerte sur le plateau. Or, le réseau téléphonique y est très mauvais. "

Pour le colonel Bruno Maestracci, directeur du Service d'incendie et de secours (Sis) 2A, la décision d'implanter ou non des antennes sur le Cuscionu relève d'une décision publique.

" C'est aux élus de décider ce qu'il faut pour les populations et de répondre à la question, en termes éthiques : est-il acceptable de risquer de perdre une vie ? Il m'arrive de proposer l'ouverture de nouvelles pistes pour lutter contre les incendies et des élus me disent : 'Vous êtes fous, vous allez tout casser !' Je leur réponds que, d'un autre côté, tout risque de brûler. Ce sont des choix à faire. "

La question posée est également celle du choix du nouveau réseau de communication pour les services de secours. En 2030, en effet, le réseau radio numérique Antares (Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours), actuellement utilisé par les services de secours, devrait être remplacé par un système utilisant la 4G, le réseau radio du futur (RRF). En 2016, Jean-Pierre Vogel, sénateur des Vosges, soulignait les nombreux dysfonctionnements d'Antares ainsi que son coût trop important. Le rapporteur suggérait d'associer les grands opérateurs privés à la modernisation du réseau de télécommunications des services afin de réduire les coûts pour l'État et la collectivité.

" Ce nouveau réseau aura besoin d'une très bonne couverture pour fonctionner, commente Bruno Maestraci. Les opérateurs auront l'obligation de réserver une bande passante pour les secours. Tout reposera désormais sur les opérateurs privés. C'était inimaginable il y a 20 ans. "

* Site naturel désigné par l'Union européenne pour protéger un certain nombre d'habitats et d'espèces représentatifs de la biodiversité.




August 18, 2020 at 11:12AM
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